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Publications du laboratoire CRH-LAVUE

Wilson, Yaneira

Torre David au Venezuela

récits sur fond de politiques publiques menées par le gouvernement d'un « État magique »

Date de parution : 2022

Revue : Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère



Thème : Histoire et quartiers. Méthodes, narrations, acteurs



Coordonnée par : Gaia Caramellino, Filippo De Pieri et Yankel Fijalkow



Numéro - Date : 15 - 2022



Éditeur : Ministère de la Culture

Torre David in Venezuela: Narratives against the Backdrop of Public Policies Conducted by the Government of a “Magic State”



Au cours de cet article, nous croiserons les faits historiques, politiques, géographiques et urbains autour du centre d'affaires abandonné, la Torre Confinanzas, devenue la Torre David, le plus haut squat vertical d'Amérique du Sud. Si cet édifice a été dans les années 2000 l'une des icônes de la modernité de la ville de Caracas, il est devenu aujourd'hui l'icône d'un habitat informel, à l'abandon, le symbole d'un paysage urbain délabré, à l'image de la situation économique du pays. D'abord squattée en 2004 par un premier groupe de sans-abris, la tour suit, jusqu'en 2013, un processus de bidonvilisation verticale ; cette même année, il est estimé qu'environ 4 000 personnes vivent au sein du complexe d'immeubles. Depuis 2015, la Torre David est vide, complètement délabrée, laissée en l'état par le gouvernement, qui a relogé sa population dans une opération GMVV hors du centre-ville. Depuis le début de la révolution bolivarienne la stratégie d'État propose une réécriture de l'histoire récente du Venezuela, qu'il colporte à travers un discours révolutionnaire pour mettre en scène ses politiques publiques et visions sociétales.


Comment l'État « magique », ainsi défini par l'historien et anthropologue vénézuélien Fernando Cornoli, lorsqu'il pointe la dépendance historique du pays aux ressources pétrolières, peut-il viser une solution « miraculeuse » aux problèmes rencontrés par la société ? Comment le gouvernement s'appuie-t-il sur l'utilisation des rapports de force entre puissance gouvernementale et population pour construire un discours dit « révolutionnaire » ? La Torre David n'a-t-elle pas glissé de l'icône de la modernité de la ville à celle de l'instabilité et de la précarité du paysage urbain récent ? L'État trouve-t-il un intérêt à conserver cette image d'ancien bidonville vertical afin de mettre en valeur l'architecture populiste de la GMVV ? Pour éclaircir ces questions, nous présenterons trois types des récits : ceux issus des registres académiques de l'histoire et de l'urbanisme de Caracas ; les récits médiatiques, au niveaux national et international ; et les récits performatifs, liés aux promesses gouvernementales « d'un faire advenir par ce qui est dit ». La première partie reviendra sur le développement des quartiers informels au Venezuela durant le siècle dernier, sur l'histoire de la Torre David et les réponses avancées par Hugo Chávez après son arrivée au pouvoir. La deuxième partie s'attachera à l'analyse de la surmédiatisation internationale de cette occupation par les acteurs qui ont mobilisé cette structure urbaine dans leur travail professionnel ou personnel et la relocalisation des habitants hors du centre-ville orchestrée médiatiquement par le gouvernement. Enfin, la troisième partie portera sur la gestion des politiques publiques autour du logement social avec la création de la GMVV, mission gouvernementale productiviste promise aux plus démunis qui a été l'une des solutions proposées aux habitants de la Torre David.


Depuis des siècles, l'architecture et l'urbanisme sont sollicités pour laisser la trace d'un mouvement politique ou social. Dans cette contribution, les enjeux scientifiques visent à comprendre comment certaines représentations sont liées à une morphologie spécifique d'une ligne de pensée, en l'occurrence la « révolution bolivarienne ». Plusieurs écrivains et historiens de l'architecture ont parlé de « symbole », en reliant le type de bâtiment à une réflexion d'ordre étatique. Certains architectes du mouvement moderne et de l'architecture fonctionnaliste, tel H. Meyer, directeur du Bauhaus de 1928 à 1930, soutenaient une architecture au service du social et de l'économique, où la standardisation dans la production du logement social doit primer sur l'esthétique et l'artistique. Comme l'a formulé Federico Ferrari, l'architecture, depuis ses origines, a toujours été instrumentalisée par des logiques de marketing à des fins politiques, continûment mise en avant et transformée en outil de communication, à certaines périodes, de manière très simpliste, mais qui est pourtant devenue un outil de séduction formidable. L'intérêt de cet article est de comprendre l'empilement narratif autour de l'architecture iconique de la tour, de la production de logement social par l'État, mais aussi, les actions collectives et les luttes relatives aux habitants qui sont à la recherche de leur droit à vivre correctement en ville. Ces récits ne sont que l'illustration ou le symptôme de politiques publiques défaillantes tant ils mettent en scène les disparités sociales et alimentent les discours identitaires.


lien vers l'article : [https://journals.openedition.org/craup/10673->https://journals.openedition.org/craup/10673]





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