De l’architecture au paysage : explorations d’une écologie urbaine par le projet
DE1 A-lto / Semestre 8
encadré par Jean Mas, Dimitri Toubanos et la paysagiste Giovanna Marinoni,
NOTA: au-delà de cette fiche descriptive, vous pouvez accéder par le lien de téléchargement ci-dessous à un petit module video de quelques minutes de présentation complémentaire de l'enseignement par ses enseignants, ainsi qu’à un dossier de références graphiques de l’enseignement, notamment de nombre de projets d'étudiants de l'année dernière
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Le principe de l’enseignement de ce semestre est d'explorer avec les étudiant(e)s, à l’échelle urbaine d’un site du Grand Paris comme à celle des édifices qui viendront y prendre place, la question des rapports entre l’Architecture et l’Ecologie, à l’origine par le PROJET lui-même, et non par quelque annexe que ce soit, qu’elle soit technique et/ou traduite dans des objectifs purement quantitatifs, attachés à une forme de doxa de référentiels ne visant qu’à l’obtention de labels de toute nature, trop éloignés du savoir de notre discipline, parce que dissociés de l’essentialité de l’architecture.
Nous, architectes, désirons tous ardemment contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique par un engagement sans failles au service de cet objectif dans tous nos projets futurs, par une refondation en profondeur de nos « pratiques théoriques » de projet, et des problématiques spécifiques que posent désormais pour notre discipline les questions liées à l’écologie, traduites légitimement par des publications scientifiques incontestables mais à elles-seules insuffisantes pour fonder le projet.
Quantités versus Qualités / Savoirs et Outils
Car, dans le même temps, quel sens peut-il exister en effet pour tout projet d’architecture, aussi vertueux soit-il en termes de stricts objectifs de quantités atteintes (d’émissions de CO2/d’énergie fossile consommée/de matériaux recyclés/ de pourcentage de pleine terre/de nombre d’arbres/…), si dans le même temps le projet n’a pratiquement pas de qualités au plan de l’architecture ?
Avec pour conséquence que les hommes et les femmes en situation d’«habiter» ces projets, de les vivre de l’intérieur, n’éprouveraient, au-delà du sentiment vertueux de participer à l’effort de tous au service de cette cause planétaire indiscutable, aucun plaisir ni émotion particulière à VIVRE ces projets plus ou moins dépourvus des qualités ?
Ne devrions-nous pas poser comme objectif de saisir l’opportunité de cet engagement environnemental qui s’impose à tous, non pas pour continuer de faire des projets qui vont s’engager simplement sur des quantités, mais a contrario sur des projets qui vont s’engager dans cette démarche de projet(s) à inventer, avec encore plus de qualités architecturales ?
C’est là l’objectif que nous souhaitons partager avec les étudiant(e)s, convaincus que le moyen principal de l’atteindre est de poser comme postulat préalable pour l’architecture un projet d’écologie engagé dès l’origine PAR LE PROJET architectural et paysager, sur la base d’hypothèses traduites dans notre discipline, notamment par une recherche morphogénétique à partir d’un travail figural, puis d’une exploration visant à la définition de dispositifs inédits, appropriés aux problématiques spécifiques recensées tant à l’échelle de la ville, de son espace public et de son paysage « urbain », qu’à celle de l’édifice.
Il s’agira donc pour les étudiants de mettre en place des dispositifs inédits, des figures de conception qui traduisent leurs hypothèses de conception écologique à différentes échelles : territoriale, urbaine et architecturale. L’objectif sera de développer une démarche « low tech » de conception, en tirant parti des qualités du site, tout en imaginant de nouvelles perspectives pour le territoire étudié.
Une nouvelle place de la Nature en ville
« (...) because ignorant violations of nature are so quickly penalised by physical disorders » (McHarg, 1969)
Les villes européennes interrogent aujourd’hui le paradigme de la déminéralisation. La croissance des aires métropolitaines va conduire à de nouvelles formes de densité urbaine, auxquelles devra s’associer nécessairement une considération renouvelée de l’espace public et la recherche d’un nouveau rapport à la nature.
L’expansion des villes va de pair avec leurs embellissements depuis les Lumières, au développement économique, commercial et fonctionnel la recherche d’amélioration au sens esthétique des espaces urbains et collectifs, les parcs et promenades publiques participent à la scénographie et au décor de représentation et en même temps à la fonction hygiéniste et récréative du peuple. Les grandes villes modernes ont exploré des possibles et des utopies pour penser la cohabitation entre ville et nature pour l’épanouissement des habitants (la cité jardin, Prost, la ville parc, le Corbusier etc.), mais les logiques de développement effréné et l’économie du sol ont déconnecté le projet urbain de toute réalité physique.
Nous aborderons la question du paysage en termes « d’infrastructure verte ». Cette notion a été largement abordée et utilisée dans l’histoire de l’urbanisme notamment dans la planification des villes et la création d’infrastructures (autoroutes, voies ferrées, etc).
L’accélération des crises climatique et sanitaire nous invitent à nous engager dans le mouvement de renaturation des villes et à penser le projet urbain et projet de territoire à partir des composantes structurantes des écosystèmes, à commencer par les fleuves et le système hydrographique qui constituent la colonne vertébrale de ces infrastructures offrant des situations de projets favorables à accueillir le vivant.
Par ailleurs, si aujourd’hui la question de la mise en œuvre et/ou le renforcement de l’infrastructure verte dans la ville redevient une nécessité et une urgence, autrement dit un enjeu de santé publique, qui nous oblige à envisager dans tout projet urbain les conditions pour accueillir cette « nature en ville », il serait une erreur de ne considérer que son apport fonctionnel. Nous avons besoin de lieux pour la promenade et la découverte, pour le repos et l’attente, pour le ressourcement et la pause (le vide), pour exprimer de la créativité, la danse, le théâtre, la rencontre de l’autre. Quelles natures, typologies et échelles d’espaces pour accueillir le vivant d’une part, pour satisfaire les besoins récréatifs des citadins d’autre part, quels agencements, quelles interfaces, quel cadre pour envisager une architecture contemporaine comme paysage urbain ?
Densité / Intensité / Hauteur(s) / Orientations
Au sein de cette « infrastructure verte », nous allons étudier la problématique de la densité. En effet, le paradoxe qui aujourd'hui prône à la fois les vertus de la densité et du mode campus est au centre de cet enseignement de projet. Nous chercherons à explorer de nouvelles typologies d'édifices capables d'allier les vertus de ces deux extrêmes.
La densité fait son retour dans les discours d'urbanisme et d'architecture. En réponse aux préoccupations de développement durable, on ne la résume souvent qu'à la notion de concentration illustrée par la tour. Pourtant le mot densité revêt trois sens qui ne peuvent être dissociés, et lui donnent toute sa substance. Elle évoque à la fois une épaisseur, qui renvoie à la notion spatiale d'intervalle. Elle peut aussi se définir au sens physique (c'est la masse volumique), associé par là au sens de pression et à l'aspect négatif d'oppression. Envisagée en tant que fusion ou concentration, la densité est une intensité, valeur positive qui évoque la force, les potentialités d'échanges, valeur évoquée par les penseurs contemporains à travers la notion de réseau, celle qui aujourd’hui engendre une véritable esthétique architecturale. Nous retenons de ces définitions que la densité est intimement liée à la structuration de la ville et du territoire, avec comme finalité d'intensifier 'l'être ensemble', mais qu'elle doit être soupesée, selon qu'il est nécessaire d'affirmer une présence ou au contraire de la pondérer.
Démolir / Conserver et transformer ?
En relation avec la réflexion sur la densité et la place de la nature en ville, se pose la question fondamentale de l’acte de bâtir et le rapport à ce qui existe, nous précède et avec lequel nous devons composer. Faut-il conserver l’existant, le démolir pour le remplacer, ou le transformer ? En reprenant la réflexion de Bernard Stiegler, « (…) On détruit toujours pour construire autre chose. Je ne suis pas un passéiste qui affirme qu’il ne faut pas du tout détruire. J’affirme simplement que ce que l’on détruit maintenant doit nous permettre de reconstruire un monde viable. C’est un nouveau système qu’il faut construire qui sera à la fois solvable et soutenable.» (Stiegler, 2018) , nous allons proposer aux étudiants de composer avec l’existant, en démontrant les caractéristiques structurantes du tissu existant, ainsi que ses capacités à se transformer, ou bien à être remplacé par un nouveau tissu, qui se compose avec « l’infrastructure verte », en permettant la mise en place d’une nouvelle morphogenèse écosystémique qui place l’écologie au cœur même de la fabrique de l’urbain, jusqu’à l’intervention sur l’échelle de l’édifice.
Palimpseste et Résilience
Cette réflexion nous invite à aborder le territoire comme un palimpseste , en identifiant les différentes states de constitution du territoire, dans un travail « d’archéologie » du projet. Celui-ci permet d’identifier l’histoire sourde du lieu , ses richesses et ses qualités, mais aussi ses défauts et les enjeux de sa transformation. L’ensemble de ces caractéristiques deviennent des composantes intégrantes du projet urbain écosystémique, tout en se traduisant à toutes les échelles du projet. Ainsi, la nature des sols et de l’espace public se confronte à la morphologie urbaine existante et leurs transformations potentielles. Cela permet d’aborder la notion de résilience, soit la capacité d’un territoire à absorber un choc dans notre cas et s’adapter à celui-ci. Dans notre cas le choc sera celui de l’urbanisation croissante, de la minéralisation et de la pollution des sols, mais aussi du risque d’inondation, que les projets des étudiants vont adresser.
En continuité, nous souhaitons interroger le phénomène de l’Ilot de Chaleur Urbain, soit l’élévation de la température dans un ilot bâti en milieu urbain, induit par l’orientation des bâtiments, le choix des matériaux et l’absence de nature, entre autres. Pour répondre à cela les étudiants devront donc à la fois s’intéresser à la nature des sols et des enveloppes bâties, tout en travaillant sur la question de la matérialité.
Ressources et Cultures constructives
Dans le prolongement de cette réflexion, nous allons inviter les étudiants à poser la question des ressources et à s’intéresser au choix des matériaux et des cultures constructives qui s'appliquent au projet. On le repère dans la production architecturale contemporaine : l'utilisation de matériaux biosourcés devient l'apanage du bâtiment « responsable ». L'utilisation du bois dans la construction refait surface, accompagnée par la renaissance de la terre, de la paille et du chanvre, entre autres. Sans entrer dans une forme caricaturale d’utilisation d’un matériau pour avoir utilisé un matériau « responsable », cette réflexion a le mérite de poser la question de l'empreinte écologique d'un bâtiment, c'est-à-dire de la quantité de ressources naturelles nécessaires pour le produire, ainsi que de la quantité de déchets qui en émanent. Ce faisant, la provenance des matériaux de construction est interrogée, en s’intéressant au cycle de vie des matériaux de construction et du bâtiment. Comment réutiliser les matériaux d'un bâtiment lorsqu'il arrive à la fin de son cycle de vie ? Faut-il le rendre démontable ? Cela suppose la mise en place d’assemblages constructifs et l’utilisation de matériaux qui permettent de déconstruire le bâtiment en vue de sa transformation, de sa réutilisation ou du recyclage et du réemploi des matériaux qui le composent. Ce faisant, les notions de flexibilité, d’adaptabilité et de réversibilité seront interrogées dans notre enseignement, en posant la question du temps et de son impact sur le processus de conception et de réalisation.