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  • S7-P1 PROJET ARCHITECTURAL ET URBAIN

DE 4 : Figures du possible : sous la plage, les pavés - Adrien Durrmeyer, Jean-Baptiste Guillaume

Semestre 7

Responsable(s) : Jean-Baptiste Guillaume, Adrien Durrmeyer

  • Année : 4
  • Semestre : 7
  • E.C.T.S : 14
  • Coefficient : 6,00
  • Compensable : non
  • Stage : non
  • Session de rattrapage : non
  • Mode : option
  • Affilié à un groupe : non

Objectifs pédagogiques

DESCRIPTION

La discipline architecturale fait aujourd’hui face à une crise importante. Partout dans le monde, les architectes sont, de fait, confronté·es à des enjeux majeurs : épuisement des ressources naturelles, pollutions et déchets générés par la construction bâtie, accroissement des inégalités économiques, tensions sociales qui en découlent, risques sanitaires et pandémiques… Ces événements nous conduisent à questionner fondamentalement le rôle des architectes dans nos sociétés contemporaines ; et aussi les potentielles alternatives que l’architecture peut élaborer.

 

Le Domaine d’Étude « Faire » (DE4) propose ainsi de se concentrer sur le caractère opératoire de la discipline architecturale. Si, pour reprendre la célèbre formule, il ne s’agit désormais plus d’interpréter le monde mais bien de le transformer, par quels moyens, selon quelles conditions et avec quelles conséquences peut-on « faire » acte architecture ? Comment faire, que faire, pourquoi faire ? Ces questions se posent avec la même intensité dans la pratique professionnelle et dans l’enseignement. Architectes, praticiens, enseignant·es et étudiant·es : à nous d’explorer ensemble les nouvelles conditions d’un monde durable et de les réaliser.

 

Cet enseignement de master soutient que l’architecte est avant tout quelqu’un qui fait parce qu’il pense, et qui pense parce qu’il fait. C’est un·e intellectuel·le qui s’implique dans l’analyse, la fabrication et la transformation du monde.

Plus précisément, la réflexion que nous tentons d’y mener est la suivante : comment faire avec ce qui est déjà là, comment faire autrement que ce qui est déjà fait ? Comment concevoir une architecture à partir des conditions de l’existant, en intégrant pleinement les enjeux économiques, sociaux, politiques, écologiques, numériques qui définissent notre société contemporaine ? Mais aussi, comment concevoir une architecture qui soit en capacité, non pas de reproduire ces mêmes conditions – et avec elles, les risques profonds qu’elles génèrent et que nous pouvons constater chaque jour –, mais bien de participer à leur évolution ? Quelles sont les figures du possible que l’architecture peut participer à édifier ?

 

APPLICATION

Comment, concrètement, engager une réflexion sur les rapports entre architecture et modes de production au sein des ENSA, et quoi cela peut-il constituer une pédagogie ?

 

Soulignons d’abord que l’architecture, comme l’ensemble des autres disciplines d’ailleurs, est nécessairement soumise aux conditions de production de son temps. On ne peut penser qu’à partir des structures intellectuelles propre à notre époque, et on ne peut construire qu’à partir des connaissances techniques et scientifiques de notre époque également. Cependant, et c’est là le point crucial, nous émettons l’hypothèse que l’architecture dispose de la capacité d’influer en retour sur ces mêmes structures et connaissances, c’est-à-dire sur l’appareil productif au sens large. À travers la puissance de sa matérialité, une architecture exprime autant une époque qu’elle construit les bases de l’époque suivante.

 

L’exemple le plus parlant de ce pouvoir transformateur, est sans doute la fameuse cuisine de Francfort, conçue en 1926 par Margarete Schütte-Lihotzky et Ernst May. Ce projet de standardisation du mobilier de cuisine, visait d’abord à en réduire le coût de fabrication et à améliorer l’efficacité des tâches ménagères. Nos cuisines contemporaines, à travers le monde, suivent désormais, dans leur immense majorité, les dimensions standards (60x60) définies par ce projet : clairement, l’ensemble de l’appareil de production industrielle de l’électroménager a été bouleversé et refaçonné durablement par un projet d’architecture.

 

Nous savons bien que le système productif contemporain soulève des enjeux urgents et majeurs : pour rappel, le secteur du bâtiment, en France, consomme 45% de l’énergie nationale, et est producteur de 25% des émissions de gaz à effet de serre. Au-delà de ce secteur, les effets de l’exploitation à outrance des ressources naturelles, du réchauffement climatique, des extinctions animales et végétales de masse, de l’explosion des inégalités économiques et sociales et désormais des risques pandémiques, pointent tous vers un même constat : notre système productif n’est pas viable, et il importe de le transformer. Pour quel nouveau système, c’est toute la question. Et c’est autour de cette question que notre pédagogie invite étudiantes et étudiants à réfléchir, à travailler et finalement à y apporter des éléments de réponse par le projet architectural.

 

De la même manière que des projets passés ont eu la capacité de transformer en profondeur le mode de production de leur époque, l’ambition de notre master est de construire sur le long terme, avec les étudiant·es, une collection de projets concrets et réalistes, s’ancrant dans les conditions actuelles, et dont la matérialisation disposerait potentiellement des mêmes capacités de remise en cause et de transformation du mode de production contemporain.

Contenu

DE L'ÉDIFICE AU TERRITOIRE

L’enseignement « contours » propose d’engager un travail sur la dimension politique du projet architectural (c’est-à-dire sa capacité à organiser autrement nos modes de vie), et d’explorer les conséquences de sa matérialisation dans le monde contemporain. Il s’agit, pour ce faire, de développer une réflexion collective sur la notion d’autonomie de l’édifice – le terme d’autonomie ne signifie pas ici qu’une architecture soit conçue en dehors de tout contexte, mais plutôt que les règles qui mènent à son édification lui appartiennent en propre. En d’autres termes, on se demandera dans quelle mesure un projet d’architecture est capable de transformer le territoire au sein duquel il s’implante.

 

Ce semestre est l’occasion d’une réflexion critique : l’édifice projeté reflètera une prise de position affirmée quant aux infrastructures actuelles de nos sociétés. Le projet y sera pensé concomitamment comme le processus par lequel on pourra analyser les conditions existantes de ces infrastructures, et par lequel on pourra potentiellement en construire de nouvelles. En s’attachant avant tout aux conditions spatiales et à la mise en œuvre, on cherchera à développer une construction matérielle singulière, afin d’analyser ce que cette forme pourra générer comme modification de son contexte. Ce dernier terme est à considérer dans un sens large : il inclut notamment la topographie d’un lieu, ses règles urbaines, ses conditions climatiques, son historique… Ce sont ces diverses règles et conditions que nous tenterons de questionner et transformer par le projet.

 

Ce dernier investira pour cela la dimension technique de sa fabrication dans le réel (détails, prototypes à l’échelle 1 :1…) et la dimension esthétique de son expérience sensible (images, collages…). Les étudiant·es s’emploieront à articuler le fond d’une intention et la forme radicale de sa représentation. Ils et elles participeront à la fabrication d’outils engagés, s’inscrivant ainsi dans le projet des avant-gardes architecturales du XXe siècle : concevoir l’édifice comme la matérialisation d’une alternative.

 

EXERCICE : SOUS LA PLAGE, LES PAVÉS

On définit généralement l’architecture comme une discipline dédiée à l’organisation de l’espace. Il s’agit là d’une définition dangereusement incomplète ; la pratique architecturale s’attache, en effet, tout autant à l’organisation de l’espace qu’à celle du temps. Où se situe la dangerosité de cet oubli fréquent ? Réduire ainsi l’architecture à une discipline de l’espace nous incite, de fait, à réduire son champ d’action aux seules questions constructives… et à délaisser ainsi les questions politiques que soulève immanquablement toute construction. Un projet architectural ne consiste, en effet, pas seulement à assembler des matériaux en vue de bâtir un édifice : il consiste aussi (surtout ?) à définir des formes de vie alternatives au sein de cet édifice. C’est depuis ce second aspect du projet que nous souhaitons construire notre enseignement ce semestre, en étudiant un thème plus subversif qu’il n’y paraît : les vacances.

 

Une résidence de vacances ne s’habite pas comme une résidence principale, chacun·e a déjà pu en faire l’expérience ; les journées y étant exemptes d’activité laborieuse, l’espace et le temps s’y organisent autrement. leurs conditions spatiales ne nous paraissent acceptables (et parfois même désirables) que parce que nos modes de vie se transforment en vacances. Le travail proposé ce semestre visera à analyser et expérimenter par le projet les spécificités de ces habitats alternatifs, et d’exposer ainsi les potentialités radicales qu’ils portent.

 

Radicales, car les vacances ont bien une portée révolutionnaire : la proposition qu’elles soutiennent fondamentalement, à travers les reconfigurations du temps et de l’espaces qu’elles instaurent, c’est celle d’une autre forme de rapports sociaux, d’une autre définition du travail, d’une autre manière de produire, et finalement d’un autre système de valeur. Nous essaierons de déterminer dans quelle mesure, en tant qu’architecte, il nous est possible de participer à l’élaboration crédible de telles alternatives.

 

Nous proposerons, pour ce faire, aux étudiant·es de travailler individuellement sur deux sujets distincts, mais formant néanmoins un diptyque : une villa individuelle d’une part, et un immeuble de logements saisonniers collectif de l’autre, tous deux édifiés sur des sites concrets. La taille restreinte du projet ou la répétition de son système organisationnel induisent une attention nécessaire portée aux détails (maquettes et coupes au 1/50). Ces deux exercices, par ailleurs, ne se succèderont pas toujours dans le temps ; nous proposerons aux étudiant·es de faire en partie l’expérience d’un travail simultané sur les deux projets, afin que les réflexions développées par l’un puissent directement alimenter celles développées par l’autre.

Bibliographie

AGAMBEN (Giorgio), De la très haute pauvreté : Règles et forme de vie, Rivages, Paris, 2013.

 

ALBERTI (Leon Battista), L’art d’édifier, Seuil, Paris, 2004. Texte traduit, présenté et annoté par CAYE (Pierre) et CHOAY (Françoise).

 

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BARTHES (Roland), Comment vivre ensemble. Cours et séminaires au Collège de France (1976-1977), Seuil, coll. « Traces écrites », Paris, 2002.

 

BRANZI (Andrea), Domestic Animals: the Neoprimitive Style. Thames and Hudson, Londres, 1987.

 

CAYE (Pierre), Durer. Éléments pour la transformation du système productif, Belles Lettres, Paris, 2020.

 

DEPLAZES (Andrea), Construire l’architecture, du matériau brut à l’édifice. Birkhaüser, Berlin, 2008.

 

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GORZ (André), Bâtir la civilisation du temps libéré, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2013.

 

HACHE (Émilie), Ce à quoi nous tenons. Proposition pour une écologie pragmatique, La Découverte, Paris, 2019.

 

HERTZBERGER (Herman), Lessons for Students in Architecture. NAI Publishers, Rotterdam, 2016.

 

HOLL (Steven), Pamphlet Architecture 1-10, Princeton Architectural Press, New York, 1998.

 

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IMPRIMERIE NATIONALE, Lexique des règles typographiques en usage à l’imprimerie nationale. Imprimerie nationale, Paris, 2002.

 

ISHIGAMI (Junya), Another scale of architecture. Seigensha, Kyoto, 2010.

 

KEUCHEYAN (Razmig), Les besoins artificiels. Comment sortir du consumérisme, Zones, Paris, 2019.

 

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MALM (Andreas), La chauve-souris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique, La fabrique, Paris, 2020.

 

MARI (Enzo), Autoprogettazione ? Corraini, Mantoue, 2014.

 

MAROT (Sébastien), L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture. Éditions de la Villette, Paris, 2010.

 

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TAFURI (Manfredo), Architecture and Utopia. Design and Capitalist Development, MIT Press, Cambridge, 1976.

 

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